Entretien avec Madame Bossy
J'ai commencé à être bugadière à quinze ans. J'avais quinze ans, donc c'était en 1950.
L'eau est arrivée quand j'ai arrêté l'école. A l'époque, nous n'avions que l'eau de Beaurecueil; après, nous avons eu le Canal de Provence, mais au début, nous n'avions que l'eau de la Source. Au début même, en été, nous étions embêtés parce qu'il manquait de l'eau : nous n'avions à l'époque que l'eau de la source qui venait de Saint Antonin. Après, quand on a eu l'eau du canal, ça allait mieux, il n'y avait plus de problème. Sinon, on avait une réserve : un bassin là-bas où il y a le cyprès. On faisait alors venir l'eau de Beaurecueil dedans et maman, ça lui faisait sa réserve.
Nous lavions du lundi au samedi, toute la semaine : c'était du linge blanc, du linge de couleur.
Il n'y avait que les femmes qui lavaient le linge. Il y avait ma maman, une personne de la famille et moi : nous étions trois.
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Dans un lavoir très bas on mettait deux caisses, on se mettait à genoux dans la caisse et on frottait le linge sur une pierre. | ![]() |
Le fleurier, c'est une toile de matelas ouverte, où on
mettait la cendre dessus, et qui faisait comme un filtre. C'était une grosse
toile. Nous achetions des camions de bois exprès pour
faire la cendre. Au début je me souviens on nous livrait le bois (c'était
un monsieur de La Barque qui allait chercher le bois dans la colline...)
avec des chevaux, et après c'était un peu plus moderne ; c'était avec les
camions. Et il y avait des maisons qui se chauffaient au bois; Maman leur
portait des sacs, et ils nous gardaient la cendre. C'est cette eau et cette cendre qu'on faisait passer sur le fleurier, et qui passait à travers le linge, qui nettoyait. Ça faisait savonneux, ça nettoyait, ça faisait partir les tâches, ça blanchissait. Il ne fallait pas par contre qu'on mette des châtaignes à brûler pour faire la cendre parce que, alors là, ça tachait. La cendre n'était jamais en contact avec le linge, parce qu'il y avait ce fameux fleurier. |
Pour faire la lessive, il y avait un très très grand chaudron
qu'on remplissait d'eau et de cendre, et dessous on faisait du feu et quand
l'eau avec la cendre dedans était très très chaude, on remuait bien. On mettait le fleurier sur le linge blanc qui était entassé dans le cuvier (le cuvier, c'est un mot un peu plus français et le "tineu" c'est en provençal). On mettait l'eau et la cendre dessus et c'est ce qui nettoyait le linge. En fait c'est le "jus" de cendre qui nettoyait le linge. |
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La cendre, ça blanchit et ça désinfecte. Mais c'était
uniquement pour le linge blanc : torchon, serviettes, les draps, mais pas la
couleur, parce que sur le linge de couleur, ça décolore... Maman l'avait fait
avec des services de table et elle a eu des ennuis...
On récupérait en dessous, dans des bassines, ce jus, et après, quand tous les
cuviers (il y en avait au moins cinq) avaient reçu leur quantité d'eau et de
cendre, nous remettions ce jus dans le chaudron, nous refaisions bouillir et
on recommençait l'opération de refaire passer le liquide sur le linge. Et on
refaisait ça quatorze fois pour le même linge. C'est bien simple on commençait
la lessive l'après-midi vers les 14 heures, et ça se terminait le soir à 22
heures. Ah! C'était une journée !
Après, le Bayon nous servait pour rincer cette toile où il y avait la cendre,
parce qu'à la lessive suivante, on remettait de la cendre nouvelle... La cendre
ne servait qu'une fois, et après nous allions laver le fleurier au Bayon. A
mon époque, le linge, on ne le lavait pas au Bayon, on le lavait là, au lavoir.
Quand on sortait le linge des cuviers, nous le rincions encore une fois.
Donc, il y avait un lavage au savon avant de mettre le linge dans les cuviers
(un lavage grosso modo); après, il fallait mettre le linge dans les cuviers,
faire la lessive comme je vous ai expliqué avec la cendre, et après on sortait
le linge des cuviers, on le rinçait dans les lavoirs. On donnait encore un petit
coup et même, pour certaines pièces, on savonnait encore. Et après on mettait
le linge sur des écouloirs; ils étaient en pente, en ciment.
Pour sécher le linge, alors là, c'était un problème : avec le beau temps, dans la même journée, nous séchions tout ce que nous étendions, mais si le temps était à la pluie, par exemple dans l'après-midi (on étendait le matin), on était obligé de tout dépendre et re-étendre après... et même, des fois, le lendemain ou le surlendemain. Il y avait le hangar quand c'était trop mouillé, mais quand même, il fallait le remettre à l'étendage... On étendait sur les buissons, dans l'herbe, autour de la maison, c'était tout blanc partout à cause du linge. | ![]() |
Ensuite, on portait le linge à la ville... Au début, quand j'étais toute jeune, c'était un monsieur avec la charrette et un cheval et plus tard c'était le papa de Pascal (Monsieur Faure) qui avait un camion et qui menait maman à Aix tous les quinze jours avec tous les ballots. Alors on préparait les ballots de chaque client... et la note... | ![]() |
Tout le linge était marqué au nom des familles,
en principe. Maman était habituée, il y a du linge qui n'était pas marqué, mais
elle le connaissait.
Nos clients étaient des personnes d'Aix, des particuliers : docteurs, avocats,
commerçants, un moment donné un hôtel...
Repasser le linge, ce n'était pas nous qui le faisions.