Les Bugadières de Beaurecueil

Entretien avec Madame Bossy

Enquête chez Madame Bossy.

J'ai commencé à être bugadière à quinze ans. J'avais quinze ans, donc c'était en 1950.

Fontaine de Beaurecueil.

L'eau est arrivée quand j'ai arrêté l'école. A l'époque, nous n'avions que l'eau de Beaurecueil; après, nous avons eu le Canal de Provence, mais au début, nous n'avions que l'eau de la Source. Au début même, en été, nous étions embêtés parce qu'il manquait de l'eau : nous n'avions à l'époque que l'eau de la source qui venait de Saint Antonin. Après, quand on a eu l'eau du canal, ça allait mieux, il n'y avait plus de problème. Sinon, on avait une réserve : un bassin là-bas où il y a le cyprès. On faisait alors venir l'eau de Beaurecueil dedans et maman, ça lui faisait sa réserve.

Nous lavions du lundi au samedi, toute la semaine : c'était du linge blanc, du linge de couleur.

Il n'y avait que les femmes qui lavaient le linge. Il y avait ma maman, une personne de la famille et moi : nous étions trois.

C'était un travail assez pénible de laver le linge ! C'était surtout l'hiver : nous n'avions pas d'eau chaude, on se mettait un seau de chaque côté pour tremper un peu les mains dans l'eau chaude, et enfin maman, quelques années après, peu de temps avant que je me marie, avait fait installer un chauffe-eau, alors là, nous avions l'eau chaude qui coulait dans le lavoir ; c'est dommage, je me suis en allée, j'ai guère profité... C'était en 1954 et maman a fait installer le chauffe-eau vers 1955.
La caisse où l'on se met à genoux, et, à gauche, le battoir sur le bord du lavoir. Dans un lavoir très bas on mettait deux caisses, on se mettait à genoux dans la caisse et on frottait le linge sur une pierre.

Le fleurier, c'est une toile de matelas ouverte, où on mettait la cendre dessus, et qui faisait comme un filtre. C'était une grosse toile. Nous achetions des camions de bois exprès pour faire la cendre. Au début je me souviens on nous livrait le bois (c'était un monsieur de La Barque qui allait chercher le bois dans la colline...) avec des chevaux, et après c'était un peu plus moderne ; c'était avec les camions. Et il y avait des maisons qui se chauffaient au bois; Maman leur portait des sacs, et ils nous gardaient la cendre.
C'est cette eau et cette cendre qu'on faisait passer sur le fleurier, et qui passait à travers le linge, qui nettoyait. Ça faisait savonneux, ça nettoyait, ça faisait partir les tâches, ça blanchissait. Il ne fallait pas par contre qu'on mette des châtaignes à brûler pour faire la cendre parce que, alors là, ça tachait. La cendre n'était jamais en contact avec le linge, parce qu'il y avait ce fameux fleurier.
Pour faire la lessive, il y avait un très très grand chaudron qu'on remplissait d'eau et de cendre, et dessous on faisait du feu et quand l'eau avec la cendre dedans était très très chaude, on remuait bien.
On mettait le fleurier sur le linge blanc qui était entassé dans le cuvier (le cuvier, c'est un mot un peu plus français et le "tineu" c'est en provençal). On mettait l'eau et la cendre dessus et c'est ce qui nettoyait le linge. En fait c'est le "jus" de cendre qui nettoyait le linge.

La cendre, ça blanchit et ça désinfecte. Mais c'était uniquement pour le linge blanc : torchon, serviettes, les draps, mais pas la couleur, parce que sur le linge de couleur, ça décolore... Maman l'avait fait avec des services de table et elle a eu des ennuis...
On récupérait en dessous, dans des bassines, ce jus, et après, quand tous les cuviers (il y en avait au moins cinq) avaient reçu leur quantité d'eau et de cendre, nous remettions ce jus dans le chaudron, nous refaisions bouillir et on recommençait l'opération de refaire passer le liquide sur le linge. Et on refaisait ça quatorze fois pour le même linge. C'est bien simple on commençait la lessive l'après-midi vers les 14 heures, et ça se terminait le soir à 22 heures. Ah! C'était une journée !
Après, le Bayon nous servait pour rincer cette toile où il y avait la cendre, parce qu'à la lessive suivante, on remettait de la cendre nouvelle... La cendre ne servait qu'une fois, et après nous allions laver le fleurier au Bayon. A mon époque, le linge, on ne le lavait pas au Bayon, on le lavait là, au lavoir.
Quand on sortait le linge des cuviers, nous le rincions encore une fois.
Donc, il y avait un lavage au savon avant de mettre le linge dans les cuviers (un lavage grosso modo); après, il fallait mettre le linge dans les cuviers, faire la lessive comme je vous ai expliqué avec la cendre, et après on sortait le linge des cuviers, on le rinçait dans les lavoirs. On donnait encore un petit coup et même, pour certaines pièces, on savonnait encore. Et après on mettait le linge sur des écouloirs; ils étaient en pente, en ciment.

Brouette pour transporter le linge.

Pour sécher le linge, alors là, c'était un problème : avec le beau temps, dans la même journée, nous séchions tout ce que nous étendions, mais si le temps était à la pluie, par exemple dans l'après-midi (on étendait le matin), on était obligé de tout dépendre et re-étendre après... et même, des fois, le lendemain ou le surlendemain. Il y avait le hangar quand c'était trop mouillé, mais quand même, il fallait le remettre à l'étendage... On étendait sur les buissons, dans l'herbe, autour de la maison, c'était tout blanc partout à cause du linge.
Ensuite, on portait le linge à la ville... Au début, quand j'étais toute jeune, c'était un monsieur avec la charrette et un cheval et plus tard c'était le papa de Pascal (Monsieur Faure) qui avait un camion et qui menait maman à Aix tous les quinze jours avec tous les ballots. Alors on préparait les ballots de chaque client... et la note...

Tout le linge était marqué au nom des familles, en principe. Maman était habituée, il y a du linge qui n'était pas marqué, mais elle le connaissait.
Nos clients étaient des personnes d'Aix, des particuliers : docteurs, avocats, commerçants, un moment donné un hôtel...
Repasser le linge, ce n'était pas nous qui le faisions.

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Ancien lavoir public. Pierre du lavoir.